Aujourd’hui l’Inconnue de la Seine veut vous rapprocher de l’un de métiers le plus représentatif de la ville de Paris : les bouquinistes. Ces marchands de livres anciens et d’occasion dans cette magnifique librairie à ciel ouvert unique au monde qui fait maintenant partie du paysage. La tradition des bouquinistes débute aux alentours du XVIe siècle avec des petits marchands colporteurs. Leur métier va évoluer et ils vont notablement se répandre énormément grâce à l’aménagement du quai de la Seine par Napoléon 1er. C’est au début du XXème siècle que des concessions sont mises en place par la ville de Paris et les bouquinistes peuvent s’établir à des points fixes. Inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2011, ils font le plaisir des promeneurs et touristes.

Pour bien connaitre leur métier, rien de mieux pour l’Inconnue de la Seine que d’avoir pu parler avec l’un d’entre eux qui exerce le métier depuis plus de 30 ans et qui a plein de choses à nous raconter… Monsieur Jean-Pierre Mathias, bouquiniste professionnel !

Pourquoi avez-vous choisi ce métier ?
J’étais prof de philosophie dans le centre de la France et quand je suis venu à Paris j’étais fasciné par ces petites boutiques. Même si au début j’étais directeur d’un service administratif dans une mairie, je me suis finalement rendu compte que ce que je voulais faire dans cette ville, c’était être bouquiniste. L’univers du livre m’intéresse parce que c’était mon instrument de travail en tant que professeur. De plus, l’attribution des boites sur les quais dépend des services de la marie et j’ai trouvé que ça serait très intéressant de faire la jonction entre le deux. J’ai également choisi ce métier parce que j’aime bien vivre dehors et raconter des histoires à ceux qui veulent m’écouter.

Alors votre ancien métier de professeur ne vous manque plus ?

Je vends des livres de philosophie, psychologie, droit… Tout ça a fait partie de ma formation initiale, je peux donc transmettre mes connaissances à travers la vente des livres et en même temps j’apprends aussi des clients qui m’enseignent aussi des choses, c’est donc un vrai partage.

Qu’est-ce que vous considérez de mieux dans votre métier ?

Je suis un type du midi qui adore être dehors et quand je me suis retrouvé au début de ma carrière à Châteauroux avec un temps gris à l’intérieur d’une classe, j’ai trouvé que ce n’était pas la meilleure façon d’enseigner la philosophie… trop éloigné des places publiques… Aussi parce que j’ai considéré qu’être bouquiniste c’est la meilleure façon d’avoir des contacts avec les gens, bien plus facilement je trouve que dans une librairie classique et je pense aussi que c’est bien mieux que tous les médias informatiques (Amazon, etc.). Je pense que les gens ont besoin d’avoir un contact plus réel et moi je suis là pour tous ceux qui ont besoin de parler, car moi j’adore aussi cela, et c’est comme ça que j’ai eu des rencontres extraordinaires.

Qu’est-ce que vous considérez de pire dans votre métier ?

Le pire c’est la grande rivalité avec les tablettes et toute la digitalisation qui a diminué l’importance du livre pour les gens.
L’autre problème du bouquiniste, c’est le tourisme de masse, avec des gens qui sont pressé, qui veulent tout voir d’un coup et que n’ont pas le temps pour flâner ou discuter. Ce type de touriste préfère acheter des petites tours Eiffel plutôt qu’un livre de poche. C’est ce qui a provoqué le changement du type de marchandise. Même si moi je reste fidèle à vendre du papier et des gravures originales.
Moi volontairement je refuse de vendre d’autres choses que des images et des livres et c’est une contrainte financière car on est quand même dans une impasse. Mais vendre des autres objets ça ne m’intéresse pas, je suis bouquiniste, et dans bouquiniste, il y a « bouquin ».

D’où viennent les livres ?

Auparavant, il y avait des gens qui nous proposaient des livres. Mais on a de moins en moins de livres achetés de cette façon parce qu’ils vont essayer de les vendre sur Internet, ou chez Gilbert Jeune… et quand ils n’ont pas réussi à vendre ni sur l’un, ni sur l’autre, ils viennent nous voir. Mais la plupart du temps ça ne m’intéresse pas parce que ce sont des livres que ne sont pas vendables.
De plus, comme les vendeurs ont de difficulté à se garer, ils vont vendre plus facilement à ceux qui sont premiers dans les quais.

Il y a aussi les salles des ventes, les marchés privés, des particuliers que vendent leurs bibliothèques, des courtiers spécialisés dans un domaine, les chineurs, et il y a même des types qui font les poubelles (surtout celles de Gilbert Jeune) qui nous vendent des livres.

Avez-vous une réserve de livres ou tout est dans votre boite ?

On a tous une réserve, on ne peut pas tout étaler ! J’en étale environs 2000 et je dois en avoir 15000 en réserve.

Quel est le livre ou l’objet le plus précieux que vous avez dû vendre ?

J’ai vraiment mal au cœur de devoir vendre – parce que j’adore la musique – une édition originale de traité de musique de Rameau du XVIIIème siècle. C’était un compositeur révolutionnaire qui défendait l’importance de l’harmonie. Je devais partir en Asie, j’avais déjà acheté le voyage et j’ai dû vendre ce traité de musique à un courtier pour payer mon séjour de 2 mois là-bas.

Pourquoi travailler devant de la seine ?

Etre en face de la seine est extraordinaire. Depuis le moyen-âge la Seine servait à approvisionner. Elle donne un lieu de passage idéal pour la vente. En plus les imprimeurs étaient proches de l’eau dont ils avaient besoin pour fabriquer leur papier et par peur des incendies. Et aussi, ici au bord du fleuve on se sent plus en sécurité qu’au milieu des villes (cela est valable aussi de nous jours).
Les quais de la Seine sont classés par l’Unesco et nous les bouquinistes faisons maintenant partie du décor. L’évolution future serait de rendre les bords de Seine de plus en plus comme un lieu de plaisir à se promener pour profiter de cette voie royale… C’est le seul fleuve au monde qui traverse une bibliothèque !

Pour vous quel est l’avenir des bouquinistes ?

Moi je me bats pour l’avenir des bouquinistes, avec ma femme qui est la trésorière de l’association des bouquinistes (qui regroupe la plupart d’entre nous – 180 sur 250). Cette association organise des expositions, comme celle sur Sempé, la reliure, et les manuscrits arabes au Grand Palais.
Il y a une disparition des libraires et on pourrait dire qu’on fait partie du dernier rempart pour la défense du livre. Je pense que l’avenir de livre est compliqué, les gens ont de moins en moins d’espace à Paris, ils préfèrent des écrans plats plutôt qu’avoir une bibliothèque chez eux, et aussi on voyage plus… On est progressivement dans le déclin de la vente des livres à notre époque, c’est un peu la fin de un période, et même si je suis défenseur de la tradition de livre, j’essaye de m’adapter à mon époque et faire une concession ; vendre des gravures de mode…
Mais je reste relativement optimiste parce que le bouquiniste c’est une profession qui date du moyen-âge et qui a continué malgré les adversités, le censures, les menaces des libraires, les interdictions royales, …

Parisiens et flâneurs d’un jour, les bouquinistes sont en péril : Conservons-les à tout prix.
Ce sont des passionnés qui nous font découvrir des petits trésors au bord de la Seine.

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